Le référendum de 1995 fut-il une défaite de la souveraineté comme on l’entend souvent, même au sein notre famille politique ? Dans mon récent ouvrage «Le sens du pays» j'ai analysé l’histoire du mouvement indépendantiste depuis 50 ans et j'en conclu que la véritable défaite de 1995 est celle du lendemain de ce match nul référendaire, une défaite que nous nous sommes infligée nous-même.
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Malgré le résultat serré de l’élection québécoise de 1994, Jacques Parizeau avait pris le risque calculé de convoquer les Québécois à un deuxième référendum sur l’indépendance. Un risque calculé puisqu’à l’été 1994, l’appui à la souveraineté dans la population avait diminué à 38,8% pour le OUI. Mais Parizeau était flanqué de deux partenaires qui ne partageait pas sa détermination. Lucien Bouchard et Mario Dumont. Aussi, tout un courant attentiste toujours très fort au PQ et au Bloc trouvait plein de raisons pour mettre les freins. Bouchard avait proposé de revenir à la stratégie étapiste de 1980 des deux référendums, qui ne pouvaient au mieux mener qu’à une forme de fédéralisme renouvelé. Il avait déclaré «Le projet indépendantiste doit prendre rapidement un virage qui le rapproche davantage des Québécois et qui ouvre une voie d’avenir crédible à de nouveaux rapports Québec-Canada ». On peut se le dire, sans la détermination de Jacques Parizeau, jamais le deuxième référendum sur la souveraineté n’aurait eu lieu.
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Il ne manqua que 54 288 votes au camp du OUI. Certains ont parlé de victoire morale, d’autres de référendum volé. En fait c’était un match nul, qui exigeait de reprendre le scrutin.
Jacques Parizeau avait confié à Stéphane Bureau la veille du référendum, qu’il allait démissionner s’il ne remportait pas son pari, une question d’honneur pour lui. Suite à sa déclaration sur l’argent et des votes ethniques - très juste pourtant dans les faits - l’ensemble des médias se déchaînèrent, y compris au sein de son propre conseil des ministres. Le Parti québécois se révéla incapable de surmonter cette crise politique et médiatique et de la combattre, se réfugiant dans la défensive et la rectitude politique.
Pourtant, dans les mois qui suivirent le 30 octobre 1995 et les deux années qui suivront, beaucoup de citoyens et de citoyennes regrettaient leur vote. Dès novembre et décembre 1995, trois sondages coup sur coup, montraient un appui majoritaire à la souveraineté. À Québec, certains conseillers politiques voulaient qu’on tienne un nouveau référendum ou une élection rapidement. La démission de Parizeau avait privé le camp indépendantiste de la seule personne qui aurait pu le faire.
Lucien Bouchard, devenu premier ministre, n’allait pas prendre ce risque. Dès son assermentation en janvier 1996, il fit savoir « qu’il entendait d’abord gouverner le Québec province et respecter le terme électoral du mandat en cours ». Il avait conclu que les souverainistes avaient perdu le référendum. Il fallait se résigner et revenir à la gouvernance de la province. Le combat pour l’indépendance allait subir un long hiver marqué par le retour en force de la tendance provincialisante du PQ, la pratique faussement « sécurisante », l’attente des « conditions gagnantes», le référendum « au moment opportun », en un mot, la démission.
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Les « conditions gagnantes » de l’indépendance étaient bel et bien réunies au début de 1996. Il faut bien le souligner, malgré toute la reconnaissance qu’on leur doit, la démission de Jacques Parizeau au lendemain du référendum, et surtout celle de Lucien Bouchard face à l’indépendance par la suite nous ont empêché d’en profiter.
Là se trouve le moment de la véritable défaite. Depuis 25 ans, aucune des 7 élections québécoises n’a porté sur l’indépendance. Dans les 20 années où le PQ a formé le gouvernement, seules les deux années préréférendaires ont permis d’expliquer le sens du pays et d’en débattre avec l’ensemble de la population.
Comment expliquer cela ? Pour ma part, je l’attribue à une sorte de « provincialisation des esprits » qui conduit tout un courant indépendantiste sur ce terrain miné où l’idée d’indépendance est amenuisée, triturée, édulcorée par ses propres porte-paroles.
Il faut changer la dynamique délétère actuelle par un évènement rassembleur et déclencheur qui ne peut être que la prochaine campagne électorale en la faisant porter sur le OUI. L’important n’est pas la date du prochain référendum, mais que la prochaine campagne électorale porte sur l’indépendance !
On peut se procurer mon plus récent ouvrage, « Le sens du pays – Refonder le combat indépendantiste », ICI