Depuis l’élection de 1976 s’est accrédité dans l’imaginaire québécois l’idée que le référendum serait le seul moyen pour le Québec d’accéder à son indépendance politique. Cette question revient à l’avant-scène maintenant que le Parti québécois a décidé d’assumer son option indépendantiste d’ici la prochaine élection, en annonçant qu’il le ferait par un référendum dont le moment n’est pas précisé.
Contrairement à la croyance populaire, le passage obligé par un référendum sur l’indépendance ne date pas de 1973, mais de l’élection de 1976, date où René Lévesque conseillé par Claude Morin, l’inscrivait dans la plateforme électorale de son parti. Plutôt que d’accéder à l’indépendance par suite d’élections comme c’était le cas depuis la fondation du parti, il proposait à la population « un vrai gouvernement » qui tiendrait un référendum sur la souveraineté-association au cours du mandat. La décision étant reportée plus tard, un électeur pouvait désormais voter pour le PQ à l’élection sans soutenir son option fondamentale.
Ce choix stratégique du chef du Parti québécois était contraire au programme de son parti (édition de 1975) adopté par le Congrès national de 1974 [1]. On pouvait y lire : « C’est le peuple en régime démocratique, qui détient le pouvoir de décider par le mécanisme du vote. C'est donc par ce processus démocratique accepté de tous que le Québec à la suite d'une élection, réalisera sa souveraineté politique. » Puis à l’article 1, le gouvernement s’engageait à : « Mettre immédiatement en branle le processus d'accession à la souveraineté en proposant à l'Assemblée nationale, peu après son élection, une loi autorisant à exiger d'Ottawa le rapatriement au Québec de tous les pouvoirs (…) ». Le référendum n’apparaissait que plus tard, à l’article 2, pour n’être utilisé comme moyen de pression si le Québec devrait procéder par une déclaration unilatérale d’indépendance.
Le choix référendaire de 1976 n’est pas un dogme. Il doit être remis en question par la nouvelle génération d’indépendantistes, à la lumière de l’évolution du Québec et du régime canadien des cinquante dernières années. Le Québec peut et doit réaliser son indépendance politique le plus tôt possible, par une élection.
Comme l’explique le constitutionnaliste André Binette dans un récent article, le choix d’attendre à un référendum « est un choix stratégique qui n’est aucunement dicté ni par le droit international, ni par le droit canadien. Il n’existe aucune obligation juridique de tenir un référendum pour accéder à l’indépendance. » [2] Le référendum ne fait qu’exprimer la volonté du peuple québécois à un moment donné. Il peut servir de moyen de pression politique opportun ou pour adopter la constitution d’un pays. Mais pour être concrétiser l’indépendance, un référendum gagnant doit être suivi soit d’une entente avec le Canada, soit d’une déclaration unilatérale d’indépendance de la part de l’Assemblée nationale du Québec. Ces deux conclusions de la démarche d’émancipation du Québec seront nécessaires, que le Québec y arrive par référendum ou par suite d’une élection sur l’indépendance.
La voie électorale vers l’indépendance suppose que cette option est placée au cœur de la campagne électorale d’un parti, ou de plusieurs, qui demandent à la population un mandat de la réaliser. À la suite de cette élection, un de ces partis pourrait cependant former le gouvernement sans recueillir la majorité des voix exprimées, comme c’est le cas du gouvernement actuel de la CAQ élu en 2022 avec 41% des votes exprimés. À la prochaine élection, un parti élu avec 40% des voix pourrait entreprendre la réalisation de l’indépendance. Il pourrait encore mieux y arriver avec l’appui d’un autre parti appuyant l’indépendance et ayant recueilli plus de 10% des voix, de sorte que le gouvernement dispose d’un appui majoritaire de la population.
La voie électorale est non seulement possible au Québec dans la situation actuelle, mais elle est hautement préférable à un référendum, pour plusieurs raisons que j’ai exposées en détail dans un récent essai [3].
L’Histoire récente nous a montré qu’un projet politique qui n'occupe pas l'espace public pendant les périodes électorales ne peut progresser, car c’est à ce moment-là que les gens s’intéressent à la politique. Au cours des sept élections ayant suivi le référendum de 1995, la question de l’indépendance a été constamment évacuée des élections pour un référendum ultérieur ou carrément refoulée à un autre mandat électoral. Résultat : l’appui populaire à l’option fait sur surplace, alors qu’elle était majoritaire au lendemain du référendum de 1995. En proposant des mesures dans un cadre provincial limité, les indépendantistes ont ainsi accrédité ainsi les croyances que l’indépendance était soi-disant nuisible à leur élection ou non nécessaire au progrès du Québec.
En repoussant l’indépendance à un futur référendum, une fois au gouvernement, les indépendantistes se sont heurtés à une multitude de problèmes. Au Canada aucune compétence du Québec n’étant désormais à l’abri du pouvoir de dépenser d’Ottawa ou de celui des tribunaux, ils ont dû multiplier les luttes défensives qui ont monopolisé leurs ressources. Comme l’ont démontré les trois gouvernements indépendantistes élus depuis 1976, il restait peu de temps pour promouvoir l’indépendance.
Les reports et les tergiversations des indépendantistes au cours des 30 dernières années ont miné peu à peu la confiance envers l’outil référendaire. Bien qu’une majorité des gens pensent que le Québec a le droit et les moyens d’être un pays, une minorité seulement croient que cela deviendra possible.