L’ex-ministre Gilbert Paquette anticipe les effets de la guerre commerciale américaine sur le Québec et ses programmes sociaux - La Presse, 30 juillet 2025
L’offensive tous azimuts de Donald Trump pour accaparer une partie de la richesse des autres pays s’est d’abord manifestée sur le plan commercial, mais elle affecte aussi les lois et les budgets des autres pays, contredisant leur souveraineté. Au Canada, et particulièrement au Québec, on ne souligne pas assez qu’elle affectera de plus en plus nos politiques de justice sociale.
Sur le plan commercial, on estime que l’imposition de tarifs douaniers de 25% sur l’ensemble des produits canadiens amènerait une diminution du PIB de 2,6%, soit une perte annuelle de 78 milliards de dollars canadiens. À 35%, la menace de Trump la plus récente, ce sera évidemment beaucoup plus.
Cet impact considérable sur le budget canadien s’accompagne aussi de pertes de revenus budgétaires. Le plan de l’OCDE auquel ont adhéré 137 pays dont le Canada pour forcer les multinationales à payer leur juste part d’impôt est combattu férocement par le président Trump et ses amis des GAFAM. L’abolition de la taxe canadienne sur les services numériques (TSN) à laquelle Mark Carney a cédé, privera l’État canadien de recettes fiscales de 7,2 milliards de dollars d’ici à 2028. À cela, il faut ajouter l’exemption des multinationales américaines de l’impôt minimum mondial de 15%. Lors du récent sommet en Alberta, les pays du G7, ont accepté sous la pression de Trump d’en dispenser les grandes compagnies américaines, s’imposant collectivement une perte estimée à 250 milliards de dollars.
Les impacts sociaux sur le Québec.
Les impacts sur le Québec de cette valse des milliards sont multiples. D’une part, les mesures de rétorsion américaines incitent le gouvernement Carney à adopter ici des politiques rétrogrades semblables à celles décrétées aux USA: construction de grandes infrastructures pétrolières qui augmentent la détérioration du climat, abandon d’un rôle de promotion de la paix internationale, contrôle accru des demandeurs d’asile aux frontières, abandon de la protection des médias et de nos produits culturels contre l’envahissement des multinationales du numérique.
À ces politiques contraires à celles souhaitées par la majorité de la population du Québec s’ajoute un accroissement prévisible du déficit de l’État canadien pour les financer. Celui-ci est difficile à évaluer, mais on peut prévoir qu’il sera considérable. Ottawa devra faire face à des pertes de revenu combinées, à l’accroissement énorme de ses dépenses militaires et à des dépenses importantes pour soutenir les secteurs économiques touchés par les tarifs. Son déficit actuel de 40 milliards pourrait facilement doubler.
Pour y faire face, Ottawa ne pourra se tourner vers des augmentations de l’impôt des entreprises. La guerre tarifaire et la réduction des impôts des entreprises du côté américain incitera plutôt le gouvernement canadien à les réduire également pour éviter le transfert d’entreprises canadiennes aux USA. Il restera au gouvernement le choix entre augmenter l’impôt des particuliers ou couper drastiquement dans les transferts sociaux aux provinces, une mesure moins coûteuse politiquement qui a souvent été utilisée par le passé. Ottawa laissera ainsi aux provinces l’odieux d’expliquer les coupures de services qui en résulteront.
Jusqu’à maintenant Ottawa prévoyait des transferts au Québec de 29,28 milliards pour 2024-2025 répartis entre le transfert canadien en santé (TCS), 11,917 milliards, le transfert canadien pour les programmes sociaux (TCPS), 3,795 milliards, et la péréquation, 13, 567 milliards. On peut donc prévoir une baisse importante au cours des prochaines années de ces retours au Québec dans des secteurs déjà en difficulté où le gouvernement du Québec a dû imposer des compressions cette année.
Les coupures au TCS affecteront notamment les soins médicaux (RAMQ), les soins à domicile, les services en santé mentale, l'achat d'équipements ou d'infrastructures médicales et le soutien aux soins de longue durée. Les coupures au TCPS rendront plus difficile le soutien aux garderies subventionnées, à la protection de la jeunesse, à l’éducation postsecondaire, au logement social et communautaire ou à l’aide sociale. La baisse des paiements de péréquation, très populaire dans l’Ouest canadien, affectera également tous ces secteurs, en plus des transports, de l’environnement de la sécurité publique et du soutien économique régional.