lundi 26 février 2024

L'Intelligence artificielle au Québec: Un défi culturel

La stratégie du Québec en IA proposée dans le récent rapport du Conseil de l'innovation du Québec doit d'abord et avant tout soutenir la spécificité culturelle du peuple québécois. Elle doit intégrer les objectifs et les propositions du récent rapport du Comité-conseil sur la découvrabilité des contenus culturels. La souveraineté culturelle du Québec à l’ère du numérique dépend en effet de l’accès à nos productions culturelles sur les réseaux de diffusion numérique, et cet accès sera fondé de plus en plus sur l’utilisation des informations fournies par les moteurs de recherche d’intelligence artificielle.

La myopie culturelle d'une IA. 

Bien qu’ils soient multilingues, les outils d’IA générative maîtrisent moins bien les langues autres que l’anglais. Ils s’alimentent principalement des données du Web où les publications de l’anglosphère dominent, ce qui implique un biais culturel qui défavorise la culture québécoise et plus généralement les produits culturels de langue française. 

Les outils d’IA générative comme ChatGPT (Microsoft) ou Gemini (Google) sont fondés sur un grand modèle de langue (un LLM) qui produit une représentation « compressée » afin que l’IA puisse générer ses réponses. Les textes originaux complets sont perdus, et l’IA produit une réponse, sans avoir la capacité de distinguer le vrai du faux.

Plusieurs ont noté l’invention d’histoires fictives relativement aux réalités québécoises. Dans un dialogue récent avec ChatGPT (note 1), cette IA affirme que « L’une des reprises les plus célèbres du groupe Beau Dommage est La complainte du phoque en Alaska par Mario Pelchat ». Mais est-ce bien là la plus célèbre ? Il affirme ensuite qu’elle a été reprise par Michel Louvain (ce qui est faux) et que Félix Leclerc n’a pas repris cette chanson (ce qui est également faux)

Le logiciel se trompe parce dans son modèle de langue il existe un lien entre Beau Dommage et Michel Louvain, obtenus par apprentissage à travers un corpus de textes glanés sur la Toile, forcément plus réduit que celui sur la musique américaine. Mais son modèle ne possédant pas de lien entre Beau Dommage et Félix Leclerc, il affirme avec assurance une fausseté.

Des projets mobilisateurs pour le Québec

Un premier projet mobilisateur d’une stratégie québécoise en IA devrait être est la création d’un LLM, prenant en compte la spécificité culturelle du Québec. Ce grand modèle de langue pour l’IA générative serait entraîné à l’aide de textes spécifiques à la culture et à la langue québécoises. À cet égard, nous pourrions nous inspirer d’une initiative récente de la Suède (note 2) qui a entrepris de se doter d’un modèle de langue entraîné à partir de textes dans les langues scandinaves disponibles sur les réseaux.

Entraîner un grand modèle de langue comme ChatGPT demande de vaste entrepôts de données et des capacité de calcul hors de la portée financière des entreprises émergentes et des chercheurs, ce qui favorise la domination des grandes entreprises du numérique qui disposent de larges entrepots de données. Un autre projet mobilisateur consisterait à mettre en place une infrastructure nationale de calcul dédiée à l’IA.

Le Québec est l’une des sociétés à la pointe de la recherche IA (note 3). Mais comme le montre une étude récente de l’IREC (note 4), la majorité des projets financés ces cinq dernières années par le Québec ont subi une prise de contrôle par des entreprises hors Québec. La future stratégie en IA devra mobiliser l’ensemble de nos instruments financiers, dont Investissement Québec, la Caisse de dépôt du Québec et le Mouvement Desjardins, pour favoriser la création d’entreprises d'ici en IA, tout en assortissant l’aide gouvernementale de conditions favorisant la pérennité des composantes de l’écosystème IA du Québec.

Les grandes entreprises du numérique engagées dans la course à l'IA tendent à homogénéiser culturellement notre planète. De plus, la dépendance politique du Québec envers le Canada anglophone nous prive d'un forte partie de nos moyens d'action. Il nous faudra les récupérer pour assurer l’avenir d’un Québec technologiquement avancé capable de protéger et de développer sa culture nationale.



  1.  Claude Coulombe, L’intelligence artificielle au Québec, magazine OUI Je le veux!, janvier 2024.
  2. GPT-SW3 dans le rôle de Klara, l’amie artificielle. https://medium.com/ai-sweden/gpt-sw3-as-klara-the-artificial-friend-e0cdb50aab75
  3. Tortoise Global AI Index.  https://www.lapresse.ca/affaires/techno/2022-03-09/intelligence-artificielle/le-quebec-se-classe-7e-au-monde.php
  4. Alain McKenna, « La stratégie québécoise en IA est un échec », Le Devoir, 25 février 2022. https://www.ledevoir.com/economie/678933/la-strategie-quebecoise-en-intelligence-artificielle-est-un-echec


jeudi 9 novembre 2023

La filière batterie et l’arrosage des plantes.

Le ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibbon, soutient qu’il aurait été superflu pour son gouvernement d’obliger les entreprises de la filière batterie à s’approvisionner chez des fournisseurs québécois, car cela se fait naturellement. « Toutes les composantes qui vont faire les cellules, les cathodes, viennent toutes du terroir québécois », a assuré le ministre en point de presse récemment. 

Le ministre, avec son arrogance habituelle nous invite à « comprendre comment fonctionnent les projets industriels ». Justement, nous comprenons très bien que les entreprises prendront leur ressources, matérielles, énergétiques, humaines là où elles contribueront à maximiser leurs profits. Les décisions seront prises à la faveur d’entente internationales dans une économie mondialisée en constante évolution. Rien ne garanti que ce qui peut être avantageux maintenant pour une entreprise implantée au Québec le sera dans deux, cinq ou dix ans. Les exemples de changement de cap abondent partout. 

Il nous révèle le fonds de sa pensée : « Une plante, on est mieux de l’arroser, pour qu’elle pousse, que de tirer dessus. » En fait, le gouvernement a écarté l’idée d’exiger un minimum de contenu québécois aux entreprises de la filière batterie (Northvolt, GM et Ford) de crainte de perdre les projets ou d’hypothétiques poursuites en vertu des lois de commerce international. Cela augure mal quant à la réalisation du plan pharaonique de développement d’Hydro-Québec sous la responsabilité du même ministre, notamment dans le développement de l’énergie éolienne. 

Le ministre Fitzgibbon l’ignore peut-être mais sa boutade sur l’arrosage des plantes origine de Claude Morin, le père de l’étapisme. On a tellement bien arrosé la plante de l’indépendance pendant 25 ans que celle-ci était presque noyée jusqu’à ce qu’on la mette à nouveau au soleil.


vendredi 28 juillet 2023

L'Intelligence artificielle, risque démocratique.

On a bien vu lors de la récente pandémie les effets pervers que pouvaient avoir les médias sociaux en facilitant la propagation d’opinions extrêmes mal fondées. Maintenant, arrive l'intelligence artificielle générative (ChatGPT) dotée de bien plus grandes capacités de transformation sociétales. Aux mains d’acteurs mal informés ou mal intentionnés, l’IA peut faire dévier le débat démocratique C’est l’opinion exprimée par Danielle Allen, dans le Washington Post du 26 avril 2023. Celle-ci pose une question vitale : « Une démocratie saine pourrait régir cette nouvelle technologie et en faire bon usage d'innombrables façons. Elle développerait des défenses contre les personnes qui l'utiliseraient de manière contraire au bien commun. Elle envisagerait la transformation économique qu’elle engendre et commencerait à élaborer des plans pour faire face à un ensemble de transitions rapides et surprenantes. Mais notre démocratie est-elle prête à relever ces défis de gouvernance ? ».

J'énumère ici quelques uns des risques importants pour la démocratie de l'usage de l'IA lorsqu'utilisée des personnes mal intentionnées ou mal informées.

La propagation de la désinformation. Les technologies d’IA générative (IAG) peuvent produire d’énormes quantité d’images et de textes, renforçant ainsi certaines opinions plutôt que d’autres. Le problème n'est pas seulement le risque de campagnes massives de désinformationElles peuvent propager beaucoup de fausses informations, perturber les processus de consultation publique sur les lois et les réglementations, inonder les législateurs d'une sensibilisation artificielle à certaines opinions de l’électorat, aider à automatiser le lobbying des entreprises ou même écrire des lois favorisant des intérêts particuliers. 

La perte de contrôle des outils d'IAG. Une forte centralisation des décisions relatives à l'IAG survient à cause de la masse énorme de données nécessaires aux systèmes d’IA dont l'accès et le traitement n'est possible qu'à un petit nombre d’organisations. Actuellement, pour la première fois dans l’histoire, cinq entreprises, les GAFAM, présentent une capitalisation boursière américaine dépassant les mille milliards de dollars US et monopolisent le développement de l'IAG. 

L’opacité de la prise de décision. Dans un contexte de défiance de plus en plus prononcé des populations envers l’appareil politique, une université espagnole a réalisé en 2019 un sondage demandant aux Européens s’ils seraient prêts à laisser une intelligence artificielle prendre des décisions importantes pour l’avenir de leurs pays; 25 % des Français y étaient favorables, 30 % en Allemagne et 43 % aux Pays-Bas. Or les recommandations des systèmes d’IA reposent sur l’apprentissage profond dont les processus sont naturellement opaques et ne peuvent être expliqués aux administrés, contredisant la transparence et la responsabilité que l’on réclame de nos gouvernants.

Les biais discriminatoires. Les milliards de données nécessaires à l'entrainement des IAG portent des sont fournies en plus grand nombre par les personnes ou les groupes qui en produisent le plus. Il est difficile aux concepteurs de l’IA d’éviter que leurs systèmes fournissent des recommandations basée sur des préjugés ou les diverses formes de discrimination présentes dans les données d’entrainement.

Il faut insister sur l'urgence d'agir auprès de notre gouvernement. Notre statut de province fait en sorte que la responsabilité des communications relève actuellement d'Ottawa. Le gouvernement canadien a déposé, dans le cadre du projet de loi C-27, une trop brève Loi sur l'intelligence artificielle et les données. Celle-ci vise à établir « un juste équilibre entre la protection de la population canadienne et les impératifs liés à l’innovation » mais elle laisse essentiellement le soin aux organisations de s'autoréguler, ce qui n’offre aucune garantie. À l’image des médicaments en santé, un gouvernement responsable devrait établir un processus rigoureux d’approbation des systèmes avant leur diffusion, tout en élaborant une politique d’investissement orientée vers les applications les plus utiles au bien commun, et favorisant l’éducation de la population à l’usage de ces technologies.


vendredi 26 août 2022

IL Y A 45 ANS... NAISSAIT LA LOI 101

Au milieu de décembre 1976, environ un mois après l’élection, Camille Laurin me demandait de créer un comité de députés pour l'assister dans la préparation de la Charte du français, le projet de loi qui allait marquer la première année du Gouvernement Lévesque. Avec sept de mes collègues députés, nous allions pleinement participer à la grand aventure de la loi 101. Président de ce comité, je devenais dans les faits l'adjoint parlementaire de Camille Laurin qui allait me déléguer dans plusieurs évènements pour défendre la loi 101 avant et après son adoption. 
***
Le 26 août 1977, huit mois plus tard, suite à des années de lutte pour faire du français la langue officielle du Québec,  la Charte de la langue française, la « loi 101 » étaient adoptée par l'Assemblée nationale. Le Québec devenait officiellement français.  Camille Laurin décrivait ce geste comme un prélude à la souveraineté politique de notre peuple :

« Ce geste capital qui renverse le cours de notre histoire des deux derniers siècles, qui oriente dans le sens de la maturité, de la création et de l'ouverture au monde notre existence collective, nous le posons pour les Québécois d'aujourd'hui et les générations de l'avenir. (…) Dans un Québec désormais et pour toujours français, il est logique de prévoir d'autres reprises en main, d'autres appropriations et d'autres bonds en avant: gestion et aménagement du territoire, développement culturel, organisation sociale, stratégies économiques et, enfin, souveraineté politique »*
Manifestation monstre dans les rues de Montréal en appui à la loi 101

Avec mes collègues, j'ai voté cette loi avec une immense fierté, convaincu qu’elle allait contribuer fortement à convaincre une majorité de québécois et de québécoises de se donner un pays au prochain référendum qui aurait lieu d'ici 1980. 

Avant de procéder à la mise aux voix, le président dut rappeler à l’ordre la foule enthousiaste venue assister à ce moment historique dans les gradins de l’Assemblée nationale. Il y eu également par la suite des manifestations populaires monstres dans les rues du Québec. On aurait dit qu’une partie du peuple du Québec se débarrassait d’un lourd passé de défaites et d’humiliations, qu'il commençait à prendre le goût de la liberté et de la dignité.

Pourquoi avons-nous tardé depuis tout ce temps ? 45 ans, c'est long ! Il est temps que le Québec devienne bientôt un pays !




* Journal des débats, 26 août 1977. pp 3474-3476

Archive du blog