lundi 21 juillet 2025

 Le Canada, un futur protectorat américain ?

Les multiples reculs du gouvernement Carney nous entraînent sur le chemin d’idées rétrogrades.  - Le Devoir,  3 juillet 2025



Trois jours après que Trump a suspendu les négociations commerciales avec le Canada, pourtant décidées il y a deux semaines au sommet du G7, le gouvernement Carney annule l’application d’une loi canadienne qui déplaît au président américain et à ses amis du numérique. Avec la sus-pension du paiement de la taxe de 3 % sur les revenus provenant des services numériques (com-merce, publicité, médias sociaux, données des utilisateurs), les grandes entreprises étrangères comme Amazon, Google, Meta, Apple, Uber et Airbnb n’auront pas à payer leur dû à l’État canadien, soit un total de 7,2 milliards de dollars d’ici à 2028.


Alors que les pays de l’OCDE cherchent à établir une solution fiscale internationale pour que les entreprises numériques paient leurs impôts dans les pays où elles opèrent, Ottawa leur fait faux bond en annonçant l’abrogation prochaine de sa Loi sur les services numériques. Ce n’est pas une simple tactique de négociation comme le prétend Ottawa. C’est un véritable recul, un énorme recul de civilisation, en fait, qui pousse le Canada à refuser de légiférer pour protéger la culture d’ici et pour soutenir les médias québécois et canadiens mis en situation de précarité à cause dela perte des revenus que se sont appropriés les GAFAM et Netflix de ce monde.


À ce recul canadien s’ajoute la progression radicale des dépenses d’armement exigée par Trump.Le gouvernement Carney a annoncé le 9 juin que ses dépenses militaires augmenteraient à 2 %du PIB canadien dès cette année, passant de 41 milliards à 62,7 milliards en 2025 et à 71,8 mil-liards en 2029-2030. C’était la plus forte augmentation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais voilà que, deux semaines plus tard, au sommet de l’OTAN, Mark Carney s’est engagé à atteindre le seuil de 5 % du PIB exigé par Trump, ce qui fera grimper les dépenses militaires à près de 150 milliards d’ici 2035. À l’emprise des États-Unis sur les lois canadiennes s’ajoute uneemprise sur les orientations du budget canadien.


La raison officielle ? Ottawa veut réduire sa dépendance envers les ÉtatsUnis dans le contexte des tensions commerciales. Vraiment ? L’industrie militaire canadienne a une capacité de production limitée et on peut s’attendre à ce que ces milliards continuent à prendre le chemin de l’industrie d’armement américaine. Un bel exemple est le contrat d’achat des F-35, dont le coût total était estimé en 2022 à 73,9 milliards de dollars pour acquérir et entretenir pendant 45 ans une flotte d 88 chasseurs. Voilà la façon prévue par Trump pour que le Canada atteigne son 5 %, une partie de la rançon à payer pour son chantage aux tarifs.


Les orientations « trumpistes » s’installent au Canada.


En plus des répercussions de ces dépenses militaires pharaoniques, annonciatrices de nouvelles coupes dans les transferts sociaux aux provinces, l’adoption par le Canada des orientations chères à la droite républicaine américaine est en cours dans les domaines de l’énergie et de l’immigration en plus de celles sur l’armement et le numérique.


L’expression « drill, baby, drill » a encouragé un virage radical pro pétrole au sein des partis et des médias canadiens. Abolition de la taxe carbone, relaxation des évaluations environnementales et des lois de protection du climat, facilitation des grands projets d’infrastructure de pipeline et de gazoduc, c’est comme si le risque climatique avait tout à coup disparu. Tout s’oriente vers la pol-lution massive du climat par l’économie canadienne à une époque critique pour l’ensemble de l’humanité.


immigration, plus de 300 organismes au Canada et au Québec ont demandé le retrait du pro-jet de loi C-2 déposé début en juin et que certains qualifient de « souffle de trumpisme ». Ce projet va bien au-delà de la sécurité aux frontières exigée par Trump. Il élargit considérablement les pouvoirs du gouvernement canadien en matière d’immigration et du respect du droit d’asile. Il lui donne la capacité de suspendre massivement des permis de travail ou d’annuler des demandes en cours. Il modifie le contexte du droit criminel canadien en ouvrant l’accès aux informations privées des personnes, quel que soit leur statut migratoire, à la police et aux services de renseignement.


Un Canada passif devant l’envahissement des géants numériques, multipliant les investissements publics dans le militaire et le pétrole aux dépens de la protection sociale des personnes et du climat, est-ce là l’avenir du Québec comme province dans un Canada de plus en plus dépendant des orientations culturelles et politiques rétrogrades made in USA ? 

mardi 28 mai 2024

L’accession du Québec à l’indépendance - Le référendum n’est ni le seul ni le meilleur moyen.

Depuis l’élection de 1976 s’est accrédité dans l’imaginaire québécois l’idée que le référendum serait le seul moyen pour le Québec d’accéder à son indépendance politique. Cette question revient à l’avant-scène maintenant que le Parti québécois a décidé d’assumer son option indépendantiste d’ici la prochaine élection, en annonçant qu’il le ferait par un référendum dont le moment n’est pas précisé.

Contrairement à la croyance populaire, le passage obligé par un référendum sur l’indépendance ne date pas de 1973, mais de l’élection de 1976, date où René Lévesque conseillé par Claude Morin, l’inscrivait dans la plateforme électorale de son parti. Plutôt que d’accéder à l’indépendance par suite d’élections comme c’était le cas depuis la fondation du parti, il proposait à la population « un vrai gouvernement » qui tiendrait un référendum sur la souveraineté-association au cours du mandat. La décision étant reportée plus tard, un électeur pouvait désormais voter pour le PQ à l’élection sans soutenir son option fondamentale.

Ce choix stratégique du chef du Parti québécois était contraire au programme de son parti (édition de 1975) adopté par le Congrès national de 1974 [1]. On pouvait y lire : « C’est le peuple en régime démocratique, qui détient le pouvoir de décider par le mécanisme du vote. C'est donc par ce processus démocratique accepté de tous que le Québec à la suite d'une élection, réalisera sa souveraineté politique. » Puis à l’article 1, le gouvernement s’engageait à : « Mettre immédiatement en branle le processus d'accession à la souveraineté en proposant à l'Assemblée nationale, peu après son élection, une loi autorisant à exiger d'Ottawa le rapatriement au Québec de tous les pouvoirs (…) ». Le référendum n’apparaissait que plus tard, à l’article 2, pour n’être utilisé comme moyen de pression si le Québec devrait procéder par une déclaration unilatérale d’indépendance.

Le choix référendaire de 1976 n’est pas un dogme. Il doit être remis en question par la nouvelle génération d’indépendantistes, à la lumière de l’évolution du Québec et du régime canadien des cinquante dernières années. Le Québec peut et doit réaliser son indépendance politique le plus tôt possible, par une élection.

Comme l’explique le constitutionnaliste André Binette dans un récent article, le choix d’attendre à un référendum « est un choix stratégique qui n’est aucunement dicté ni par le droit international, ni par le droit canadien. Il n’existe aucune obligation juridique de tenir un référendum pour accéder à l’indépendance. » [2] Le référendum ne fait qu’exprimer la volonté du peuple québécois à un moment donné. Il peut servir de moyen de pression politique opportun ou pour adopter la constitution d’un pays. Mais pour être concrétiser l’indépendance, un référendum gagnant doit être suivi soit d’une entente avec le Canada, soit d’une déclaration unilatérale d’indépendance de la part de l’Assemblée nationale du Québec. Ces deux conclusions de la démarche d’émancipation du Québec seront nécessaires, que le Québec y arrive par référendum ou par suite d’une élection sur l’indépendance.

La voie électorale vers l’indépendance suppose que cette option est placée au cœur de la campagne électorale d’un parti, ou de plusieurs, qui demandent à la population un mandat de la réaliser. À la suite de cette élection, un de ces partis pourrait cependant former le gouvernement sans recueillir la majorité des voix exprimées, comme c’est le cas du gouvernement actuel de la CAQ élu en 2022 avec 41% des votes exprimés.  À la prochaine élection, un parti élu avec 40% des voix pourrait entreprendre la réalisation de l’indépendance. Il pourrait encore mieux y arriver avec l’appui d’un autre parti appuyant l’indépendance et ayant recueilli plus de 10% des voix, de sorte que le gouvernement dispose d’un appui majoritaire de la population. 

La voie électorale est non seulement possible au Québec dans la situation actuelle, mais elle est hautement préférable à un référendum, pour plusieurs raisons que j’ai exposées en détail dans un récent essai [3].

L’Histoire récente nous a montré qu’un projet politique qui n'occupe pas l'espace public pendant les périodes électorales ne peut progresser, car c’est à ce moment-là que les gens s’intéressent à la politique. Au cours des sept élections ayant suivi le référendum de 1995, la question de l’indépendance a été constamment évacuée des élections pour un référendum ultérieur ou carrément refoulée à un autre mandat électoral. Résultat : l’appui populaire à l’option fait sur surplace, alors qu’elle était majoritaire au lendemain du référendum de 1995. En proposant des mesures dans un cadre provincial limité, les indépendantistes ont ainsi accrédité ainsi les croyances que l’indépendance était soi-disant nuisible à leur élection ou non nécessaire au progrès du Québec.

En repoussant l’indépendance à un futur référendum, une fois au gouvernement, les indépendantistes se sont heurtés à une multitude de problèmes. Au Canada aucune compétence du Québec n’étant désormais à l’abri du pouvoir de dépenser d’Ottawa ou de celui des tribunaux, ils ont dû multiplier les luttes défensives qui ont monopolisé leurs ressources. Comme l’ont démontré les trois gouvernements indépendantistes élus depuis 1976, il restait peu de temps pour promouvoir l’indépendance.

Les reports et les tergiversations des indépendantistes au cours des 30 dernières années ont miné peu à peu la confiance envers l’outil référendaire. Bien qu’une majorité des gens pensent que le Québec a le droit et les moyens d’être un pays, une minorité seulement croient que cela deviendra possible.

Il faut restaurer la confiance par une démarche tout aussi directe que celle de Jacques Parizeau, expurgée de faux-fuyants et d’échéances lointaines. L’objectif n’est pas de tenir un 3ème référendum, mais de mettre en route bientôt la démarche qui fera du Québec un pays. L’évolution du régime canadien nous indique qu’il est plus qu’urgent de le faire


[1] Programme du Parti québécois, 1975, L’accession à l’indépendance.

[2] André Binette, Note sur le mode d’accession à l’indépendance, L’aut’journal 10 mai 2024

[3] Gilbert Paquette, Le sens du pays, Éditions Liber, 2020, page 161 à 177.

jeudi 28 mars 2024

LE CONTRÔLE DE SON IMMIGRATION PAR LE QUÉBEC, C'EST NON !

Le premier ministre Legault a rencontré son homologue Trudeau le 14 mars dernier où il a de nouveau quémandé les pleins pouvoirs en immigration. Il s’est fait répondre un NON retentissant. « Nous n’allons pas donner plus de pouvoirs [au Québec] en immigration. Le Québec a déjà plus de pouvoirs en immigration que n’importe quelle autre province. » Vu d’Ottawa, le Québec devrait être une province comme les autres.

Maintenant que la pénurie de logements et le débordement des services publics ont été reconnus partout au Canada, il est devenu évident que l’objectif annuel d’Ottawa de 500 000 immigrants permanents, est un dangereux fantasme « canadian » incompatible avec la capacité d’accueil du Québec (ainsi que celle du Canada d’ailleurs), contribuant fortement à la défrancisation du Québec, particulièrement à Montréal.

Pendant que l’immigration permanente dépasse les capacités du Québec, l’immigration temporaire explose. Au Québec, le nombre d’immigrants temporaires a bondi de 46% en un an pour l’ensemble des catégories, passant de 361 000 à 528 000 selon les dernières données de Statistique Canada.

À la suite de Trudeau, son ministre de l’Immigration, Marc Miller, a déclaré qu’il n’est pas près de confier au Québec le pouvoir de sélectionner les travailleurs temporaires admis au Québec en vertu du Programme de mobilité internationale (PMI), ni celui de fixer l’exigence du français dans les critères de sélection de tous les travailleurs temporaires. Alors que le Québec réclame toujours un milliard de dollars pour les coûts de demandeurs d’asile, le ministre affirme que « ça va prendre une meilleure ventilation que celle qui a été faite ».

Comme cela a été dit et redit, seul un pays indépendant peut contrôler son immigration. Il est urgent que les Québécois en tirent la conclusion logique.

dimanche 10 mars 2024

Camille Laurin : la vision et la détermination

Le 25ème anniversaire du décès de Camille Laurin

Camille Laurin : la vision et la détermination

 

Le 11 mars 1991, Camille Laurin nous a quittés ! C’était hier, tant sa vision, ses valeurs, ses réalisations, son héritage ont marqué le paysage politique du Québec, et marquent encore ceux qui l’ont côtoyé à un moment ou l’autre de sa vie.

Son amour du Québec, sa foi dans l’indépendance de notre nation, sa soif de justice sociale, sa fidélité à ses engagements, son calme, sa détermination et son courage dans l’action politique nous ont inspirés, ceux qui comme moi, étaient de la génération qui suivait, mais tellement proches de sa vision et totalement engagés avec lui dans ce vaste projet de nous donner un pays.

Le soir du 15 novembre 1976, j’étais avec lui sur la scène du centre Paul-Sauvé, derrière René Lévesque, déterminés à faire naître ce pays. En novembre 1984, huit ans plus tard, nous étions, lui et moi dans un studio de Radio-Canada, annonçant notre démission d’un conseil des ministres qui s’engageait dans un soi-disant « beau risque » qui allait bloquer pour longtemps l’avenir du Québec.

Entre ces deux moments, j’ai eu l’honneur de participer à plusieurs de sprojets de Camille Laurin. Je veux ici raconter deux de ces moments de l’action politique de Camille Laurin qui auront marqué l’histoire du Québec, et aussi en dégager un certain nombre d’enseignements pour la suite du chemin qu’il nous reste à parcourir.

La Charte du français

En élaborant la loi 101, Camille Laurin avait décidé de convier la nation québécoise, non seulement à la correction des iniquités faites aux francophones, mais à une véritable thérapie nationale, qui ne pouvait mener qu’à une prise en charge de notre avenir comme peuple.

Le débat fut long et difficile au conseil des ministres, bien avant celui dans la population. Certains ministres prétendaient que « le gouvernement allait trop vite, que la population ne pourra pas suivre ». Quant au premier ministre, il expliquait publiquement « qu’un peuple normal doté d’un vrai pays n’a pas besoin d’imposer sa langue ». Alors que René Lévesque croyait que le problème se règlerait de lui-même lorsque le Québec serait souverain, Laurin, au contraire, affirmait que l’affirmation du français était nécessaire à l’accession à la souveraineté.

Souple sur les modalités mais inflexible sur les principes, Laurin a maintenu le cap à l’encontre d’une partie de ses collègues, accueillant par la suite avec fatalisme les réactions anglophones, qui parlaient de « génocide culturel » et de celles des francophones qualifiant la loi 101 de « politique discriminatoire ». Malgré tout ce battage, mélange de craintes non fondées, de contre-vérités et de procès d’intention, Laurin demeurait inflexible. Lorsque le projet sera adopté, le 26 août 1997, les sondages révèleront un appui de près des deux tiers des francophones du Québec à la Charte de la langue française.

La nécessaire souveraineté

Plus tard, à l’approche de l’élection de 1985, il fallait clarifier la position du parti sur l’indépendance, mise en veilleuse par le gouvernement en 1981 au lendemain du référendum. L’exécutif du Parti québécois, avec l’accord de René Lévesque, avait adopté une résolution affirmant que les prochaines élections porteraient sur la souveraineté dans le but de la réaliser au cours du prochain mandat.

Lorsque la résolution arriva en plénière du congrès de juin 1984, neuf ministres allèrent au micro des « pour » dont Camille Laurin, Jacques Parizeau et le soussigné. Elle fut acceptée avec une très forte majorité. Mais dès la fin du congrès, les ministres qui souhaitaient au fond la mise en veilleuse de la souveraineté au cours de la prochaine élection se déchainèrent : « suicide collectif programmé », « antidémocratique ! ». De juin au début novembre, la scission s’accentua, le clan Johnson s’engouffrant dans la réforme constitutionnelle du fédéralisme offerte par Brian Mulroney. Camille Laurin, lui, entreprit d’utiliser sa crédibilité et sa force de persuasion pour rétablir les ponts et faire en sorte que la prochaine élection porte sur l’accession du Québec à sa souveraineté.

René Lévesque mit fin au débat le19 novembre: « la souveraineté n’a pas à être l’enjeu de la prochaine élection ni en totalité, ni en parties plus ou moins déguisées, ni directement, ni encore moins par une replongée dans la tentation de vouloir amorcer à la pièce quelque processus que ce soit. »  Cette position, Camille Laurin ne pouvait l’accepter. Elle impliquait son départ du conseil des ministres.

Jusqu’au congrès spécial de janvier 1985, convoqué pour appuyer le nouveau crédo fédéralisant, il allait combattre avec nous cette dérive dans les assemblées du parti. Appuyés par seulement le tiers des délégués, Nous allions quitter le parquet pour fonder un mouvement, le Rassemblement démocratique pour l’indépendance, qui favoriserait le retour de Jacques Parizeau à la tête du parti en 1989. Camille Laurin allait à nouveau s’y engager.

Camille Laurin nous aura montré la voie de la détermination, de la fidélité et de la résistance aux pressions. Le combat de sa vie nous inspire devant le projet de faire du Québec un pays, une indépendance plus que jamais nécessaire pour consolider notre langue, nos valeurs et notre identité nationale.

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