Beaucoup de commentateurs de la situation en Catalogne ont confondu allègrement légitimité et légalité. Le référendum catalan est illégal selon une Constitution particulièrement rigide, il serait donc illégitime. Ce faux raisonnement épouse la voie légaliste et dangereuse qu’a prise le gouvernement d’Espagne en niant le droit démocratique du peuple Catalan de choisir librement son statut politique. Cette thèse affirme en somme qu’il serait démocratique d’imposer par la force à tout un peuple millénaire jadis indépendant, les décisions d’une Cour constitutionnelle au service d’un pouvoir espagnol.
Tout a pourtant été essayé depuis 2010 pour trouver une aire de dialogue avec l’État espagnol dans le cadre de la légalité établie par Madrid. Depuis le retrait par la Cour constitutionnelle espagnole d’une partie importante de l’autonomie de la Catalogne, auparavant approuvée en Catalogne par référendum, et même par le Gouvernement espagnol socialiste de l’époque, les demandes répétées de rétablissement de ce statut d’autonomie ont toujours été rejetées du revers de la main par Madrid. C'est ce blocage systématique de l'État espagnol qui a forcé le gouvernement catalan à procéder unilatéralement par référendum, faute de pouvoir le faire de concert avec le gouvernement espagnol, comme ce fut le cas lors du récent référendum sur l’indépendance de l’Écosse ou, dans les faits au Québec, en 1980 et en 1995. En cela il a été appuyé par 70% de la population.
73% des bureaux de scrutin ouverts le 1er octobre
(images prise à la télévision catalane, le 1er octobre 2017)
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J’ai été témoin sur place le 1er octobre de la détermination des catalans à exercer leur droit de vote, malgré les accusations d’illégalité et les menaces de sanctions, une détermination démocratique, résolue et pacifique. Sous la pluie, j’ai vu de longues files d’électrices et d’électeurs, de tout âge, de toute condition sociale, attendant patiemment pendant des heures l’ouverture des bureaux de votes, retardée par les violences policières, par la saisie de boites de scrutin et de matériel électoral, par les attaques répétées sur les réseaux dans le but d’empêcher la communication des listes et des résultats électoraux. Sur 2300 lieux de votes environ 400 ont été bloqués par la police, empêchant plus de 700 000 personnes qui voulaient voter de le faire. Sans ces violences et ces exactions, la participation aurait probablement dépassé les 60% au lieu des 42% actuels.
On peut rappeler ici cette phrase de Louis-Joseph Papineau : « il n'y a d'autorité légitime que celle qui a le consentement de la majorité de la nation. Il n’y a de constitutions sages et bienfaisantes que celles sur l'adoption de laquelle les intéressés ont été consultés et auxquelles les majorités ont donné leur libre accord ». La Constitution espagnole n’est pas « sage et bienfaisante » pour les catalans. La démocratie, oui c’est l’État de droit, mais un État de droit respectueux et respecté, voulu et défini par les citoyens. En Catalogne le 1er octobre, l’État de droit était dans la rue en train de voter, contestant de fait la Constitution d’un État qui l’englobe à ses conditions et, désormais, contre son gré.
La violence, perpétrée par l’État espagnol revient à vouloir priver tout un peuple de son pouvoir démocratique, à l’enfermer pour toujours sous le joug d’une légalité qu’il récuse. Le seul choix consiste donc à établir une nouvelle légalité, une Constitution catalane, élaborée par une Assemblée constituante démocratique et adoptée par le peuple, par référendum. Malgré les différences entre nos situations respectives, en Catalogne comme au Québec, la démocratie passe par une démarche constituante fondée sur le pouvoir du peuple exercé librement. La pression internationale doit s’exercer en ce sens.