mardi 29 décembre 2015

Épisode 3 - Vote authentique, erreur stratégique

Je poursuis ici une chronique en quatre épisodes de la campagne électorale canadienne 2015 à laquelle j'ai participé comme candidat du Bloc québécois dans LaSalle-Émard-Verdun. 
Au début de la campagne de 2015, on a assistée à un curieux débat entre indépendantistes. Devrions-nous voter "authentique" ou  voter "stratégique". Ce dilemme  imposé aux indépendantistes face aux élections canadiennes a pris une tournure plus intense. D'une part,  pour un indépendantiste, l’emprise de l’État canadien sur le Québec doit être combattue. D'autre part, cette emprise nuit tellement au Québec qu’il devient impérieux de participer au choix du gouvernement canadien, pas seulement au choix d’une opposition à Ottawa comme celle offerte par le Bloc québécois. Cette division entre partisans de l'indépendance n’a rien fait pour dissiper cette impression chez beaucoup « que l’indépendance ne se fera pas », au contraire. 

Jusqu’en 2008, les indépendantistes votaient très majoritairement « authentique », pour sortir du régime canadien. En fait la question ne se posait même pas. Quelle que soit leur allégeance sur la scène québécoise, l’appui des indépendantistes allait au Bloc québécois. Notamment, les 49,3% d'appuis au Bloc en 1993 préfiguraient le 49,6 % d'appui à l'indépendance lors du vote référendaire de 1995. En 2015, la quasi disparition du Bloc à l'élection de 2011 a amené certains indépendantistes à prôner l'idée d’un « vote stratégique » pour un parti fédéraliste de gouvernement capable de déloger les conservateurs de Stephen Harper. Il fallait voter pour le " candidat ayant le plus de chances de battre le conservateur ». On a même assisté à des accusations publiques de certains indépendantistes dans les journaux à l’effet qu’un vote pour le Bloc signifiait un vote pour Harper. En un mot, les indépendantistes « stratégiques » décidaient de voter à cette élection comme s'ils étaient des canadiens, pour le parti apparaissant le plus apte à donner au Québec un meilleur gouvernement du Canada, ou du moins le moins pire. 

Au contraire, le Bloc québécois se devait de faire le plein des votes indépendantistes pour retrouver sa place de premier parti au Québec sur la scène canadienne. Au début de la campagne, on voyait le slogan « Qui prend pays prend parti » sur les affiches, ce qui situait clairement le Bloc comme un instrument pour préparer le Québec pays.  C’est qu’ont très bien compris la plupart des commentateurs de la scène politique en soulignant que le Bloc québécois menait une campagne plus indépendantiste que par le passé. Puis, vers le milieu de campagne, ce slogan était remplacé par « On a tout à gagner ». Était-ce dans le Canada ou dans un éventuel Québec pays ? Pour faire le plein des votes indépendantistes, il fallait au contraire faire une campagne pour l’indépendance, expliquer le pourquoi de l’indépendance, situer cette élection comme préparant une élection déterminante au Québec, celle de 2018. Alors qu'il fallait faire le plein des votes indépendantiste,  le Bloc revenait à une campagne pour « défendre les intérêts du Québec à Ottawa ».

Je considère qu’il s'est s’agit d’une erreur stratégique,  amplifiée par des engagements du Bloc situés dans le cadre du régime politique dont nous voulons sortir, sans lien avec l’objectif du Québec pays. Il aurait pourtant été possible de prendre à la fois ces engagements, tout en démontrant que pour y arriver vraiment il fallait se donner les moyens de changer de régime, de prendre nous-mêmes nos décisions, notamment en matière de transport, d’énergie, d’institutions démocratiques  ou de relations internationales. En un mot, il fallait faire une campagne pour se donner des moyens pour l’indépendance. Suite aux débats télévisés, on a plutôt misé sur l’objectif de « la balance du pouvoir à Ottawa » permettant d’obtenir des gains à Ottawa dans le régime.  Cette position, renforçait l’idée de la défense des intérêts du Québec à Ottawa plutôt que celle du Bloc comme instrument de l’indépendance. On comprend que des indépendantistes aient pu se dire qu’à ce compte, il valait mieux voter « stratégique », nommément pour un parti qui pourrait former le prochain gouvernement canadien.

La dernière semaine de campagne, suite à la dégringolade du NPD dans les intentions de vote, ont mis libéraux et conservateurs nez-à-nez dans les sondages. On pouvait alors penser qu’il y aurait un gouvernement minoritaire. À cinq jours du vote toutefois, sur le terrain, la crainte du retour d’un gouvernement conservateur, était palpable, y compris chez nos sympathisants. Même minoritaire, un retour de Stephen Harper au pouvoir, était inacceptable surtout pour les indépendantistes « stratégiques ». Il serait intéressant d'ailleurs de savoir quelle proportion de ces derniers se sont fait violence pour voter pour le fils de Pierre-Elliot Trudeau. Chose certaine, l’appuyer devenait la façon la plus sure de battre les conservateurs, mais certainement pas la meilleure pour faire avancer l’idée d’indépendance.

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